dimanche 30 octobre 2011

Où va l'économie numérique ?


Une "deuxième économie" numérique ?



L’économie numérique est-elle en train de créer une "deuxième économie", dont la logique et les impacts seraient différents de l’économie physique ?


Pour McKinsey Quarterly, l’économiste Brian Arthur, chercheur invité au Laboratoire de systèmes intelligents du Parc, le Centre de recherche de Palo Alto, professeur externe à l’Institut de Santa Féet auteur de The Nature of Technology : What it is and How it Evolves (La nature des technologies : ce qu’elle est et comment et évolue) a livré une très intéressante réflexion sur l’économie numérique, qu’il a baptisée “La deuxième économie”.

En 1850, explique-t-il, l’économie américaine était comparable à celle de l’Italie. 40 ans plus tard, elle était devenue la plus grande économie du monde. Que s’est-il passé entre les deux dates ? Le chemin de fer a relié le pays, donnant accès aux biens industriels de l’Est, réalisant des économies d’échelles et stimulant la fabrication. Ces changements profonds ne sont pas inhabituels, estime l’économiste. Les changements économiques liés à l’introduction sur le temps long de nouvelles technologies créant un monde différent sont plus courants qu’on ne le croit. Est-ce le cas avec les technologies de l’information ? Oui, estime-t-il, aujourd’hui, le numérique est en train de créer une transformation profonde de l’économie, tant et si bien que Brian Arthur parle d’une “seconde économie”, numérique.

“Les processus physiques de l’économie sont entrés dans l’économie numérique”


Il y a 20 ans, quand vous alliez prendre un avion à l’aéroport, vous vous présentiez à un être humain qui vous inscrivait sur un ordinateur, vérifiait vos bagages, vous avisait de l’arrivée de votre vol, etc. Aujourd’hui, vous introduisez une carte dans un appareil qui vous délivre en quelques secondes une carte d’embarquement et une étiquette pour vos bagages. A partir du moment où votre carte est introduite dans la machine, une énorme conversation entre machines se déroule à votre insu. Une fois que votre nom est reconnu, les ordinateurs vérifient votre vol, l’historique de vos voyages, dialoguent avec les ordinateurs de la compagnie voire avec ceux de l’Agence nationale de sécurité américaine, etc. D’une manière invisible, une conversation souterraine se déroule où des serveurs parlent à d’autres serveurs, qui parlent à des satellites qui parlent à d’autres ordinateurs…

Même chose pour les marchandises. Il y a 20 ans, pour expédier des marchandises dans le centre de l’Europe, il fallait remplir des papiers, téléphoner à vos lieux de destination, etc. Maintenant, vos expéditions passent seulement sous un portail électronique où elles sont scannées, numérisées et expédiées. Les machines conversent avec toutes les autres, traçant seules la route de vos colis. Ce qui était fait par des humains est désormais fait par une série de conversations entre des serveurs distants.

En fait, estime Brian Arthur, “les processus physiques de l’économie sont entrés dans l’économie numérique” dans un dialogue constant entre plusieurs serveurs et de multiples agents intelligents qui fonctionnent comme autant de noeuds, vérifiant et adaptant toutes les fonctions de transit et assurant toutes les connexions de retour avec les processus et les humains de l’économie physique.

Pour Brian Arthur, c’est là le signe qu’une seconde économie s’est formée aux côtés de l’économie physique. Une économie “vaste, silencieuse, reliée, invisible et autonome (ce qui signifie que les êtres humains peuvent la concevoir, mais qu’ils ne sont pas directement impliqués dans son exécution). Son exécution est distance et mondiale, toujours active et infiniment configurable. (…) Elle s’autoconfigure, ce qui signifie qu’elle se reconfigure elle-même en permanence et à la volée, et, également, s’auto-organise, s’auto-architecture et s’auto-guérit.”

“Cette seconde économie qui est sous la surface de l’économie physique, comme un énorme système de racines interconnectées, est semblable au système racinaire des arbres.” Mais cette métaphore est imparfaite, car ce système sait créer de nouvelles connexions et de nouvelles configurations à la volée.

L’économie numérique est le système neuronal de l’économie


Cette seconde économie ne produit rien de tangible. Elle ne fait pas mon lit dans un hôtel ou ne m’apporte pas de jus d’orange le matin. Mais elle exécute l’économie physique. Elle aide au suivi des ventes et des stocks, elle permet d’obtenir des biens, de faire des calculs de conception, de facturer les clients, elle permet de faire naviguer les avions, elle aide au diagnostic des malades… “Dans toute transformation profonde, les industries n’adoptent pas tant le nouveau corps de la technologie quand elles le rencontrent, mais quand elles le font, elles créent de nouvelles façons de tirer profit de ses possibilités.”

La transformation profonde que décrit Brian Arthur ne concerne pas seulement les Etats-Unis, mais toutes les économies avancées. Le principe de cette seconde économie consiste à détecter quelque chose dans l’économie physique qui retourne alors une réponse appropriée. Un camion passe son chargement sous un capteur RFID, un grand nombre de calculs ont lieux, et des actions physiques appropriées sont déclenchées en réponse. Cela fonctionne un peu comme “l’intelligence” de l’organisme qu’évoquent les biologistes : s’il détecte quelque chose, il change son état interne et réagit de façon appropriée. Ce système n’implique pas nécessairement la cognition : une méduse n’a pas de cerveau, juste un filet nerveux qui lui permet de sentir son environnement et réagir de manière appropriée. Notre vaste réseau numérique mondial agit donc comme une couche neuronale de l’économie : “la deuxième économie constitue la couche de neurones de l’économie physique”.

La révolution industrielle a consisté à développer un système musculaire, par la puissance du moteur. Désormais se développe un système neuronal, explique encore Brian Arthur.

Brian Arthur estime que ces processus d’automatisation engendrent un changement qualitatif profond de l’économie et va impacter tout ce que nous faisons. “Dans une quinzaine d’années, si je suis au volant d’une voiture à Los Angeles, il est probable que cette voiture sera une voiture sans conducteur insérée dans un flux de voiture, qui sera en conversation constante avec les autres voitures et avec la circulation en général.”

Le problème de l’innovation numérique est qu’elle ne crée par suffisamment d’emplois !


Brian Arthur a cherché à évaluer la “taille” de cette seconde économie. Selon lui, d’ici deux décennies, cette économie numérique va atteindre la taille de l’économie physique. “C’est un peu comme s’il y avait une autre économie américaine ancrée au large de San Francisco qui fonctionnerait sans discontinuer”.

Reste qu’il y a un inconvénient : l’impact négatif sur l’emploi. L’augmentation de la productivité (2,4 % par an) signifie que le même nombre de personnes produit 2,4 % de produits et de service en plus chaque année ou qu’on obtient le même résultat avec 2,4 % de gens en moins. Le rendement individuel augmente et la production globale nécessite moins de gens pour la produire. Comme le précise Brian Arthur, d’une manière assez approximative, mais néanmoins éclairante, personne ne sait quelle part de la croissance est due à l’utilisation des technologies de l’information. Certaines études estiment néanmoins que 65% de la croissance de la productivité (qui est de 2,5 à 3 % par an) est à porter au crédit de la numérisation de l’activité. Si l’on estime que la deuxième économie compte pour 2,4 % par an de la productivité globale, cela signifie qu’à ce rythme, en 2025, la deuxième économie sera aussi importante que l’économie physique de 1995 (date où les effets de la numérisation ont commencé à vraiment affecter la productivité du travail). Les chiffres peuvent être affinés, bien sûr, mais l’essentiel est de voir que d’ici deux ou trois décennies, l’économie numérique dépassera l’économie physique en volume.

Dans une compagnie aérienne, l’essentiel du travail est toujours physique (il faut encore quelqu’un pour prendre vos bagages et les mettre sur le tapis), mais l’essentiel du personnel qui faisait fonctionner l’économie physique a disparu au profit de la détection et de la réaction numérique automatique. “Dans la seconde économie, les emplois physiques ont tendance à disparaître”. Au début du XXe siècle, quand l’agriculture s’est mécanisée, il y a eu besoin de beaucoup moins de main-d’oeuvre agricole, explique encore Brian Arthur. Quelques décennies plus tard, il y a eu besoin de beaucoup moins d’ouvriers dans les usines. Désormais, dans les services de plus en plus “mécanisés”, nous avons besoin de beaucoup moins de personnes. Nous avons encore besoin de gens pour le jugement et l’interaction humaine… Mais beaucoup d’emplois humains disparaissent dans la seconde économie pour ne pas réapparaitre.

Le défi de la distribution de la prospérité


Et Brian Arthur de tirer une leçon de cette situation : “La deuxième économie sera certainement le moteur de la croissance et le fournisseur principal de prospérité pour le reste de ce siècle, mais il ne peut pas fournir des emplois à tous”, ce qui signifie que la prospérité ne sera pas pour tous. Le principal défi de la deuxième économie réside donc “dans le déplacement de la production de la prospérité à la distribution de la prospérité”. Elle va produire de la richesse, mais c’est sa distribution qui va produire des problèmes. Lorsque les emplois agricoles ont disparu, nous les avons remplacés par des emplois de fabrication, et quand ils ont disparu, nous les avons remplacés par des emplois de services. La richesse a toujours été plus ou moins bien répartie. Mais avec la transformation numérique, ce dernier réservoir d’emploi se contracte et nous adresse un nouveau défi.

“Le système risque de s’ajuster, bien sûr”, prévient Brian Arthur, “mais je ne sais pas dire encore exactement comment. Peut-être qu’une partie de cette nouvelle économie va générer un ensemble de nouveaux emplois. Peut-être aurons des semaines de travail plus courtes et des vacances plus longues pour offrir du travail à tout le monde. Peut-être que nous devrons subventionner la création d’emplois. Peut-être que l’idée même d’emploi et de productivité va changer au cours des prochaines décennies. Le problème n’est peut-être pas insoluble. La bonne nouvelle est que si nous le résolvons nous aurons peut-être enfin la liberté d’investir notre énergie dans des actes créatifs.”

Contrairement aux prévisions que faisait Keynes en 1930 dans Perspectives économiques pour nos petits-enfants (.pdf), nous disposons bien de machines sophistiquées, mais à la place de l’automatisation personnelle (les robots), nous avons une automatisation collective. Sous l’économie physique, avec ses personnes réelles et ses tâches physiques, se trouve une deuxième économie automatique, intelligente et neuronale, sans limite à sa capacité à se constituer. Elle crée un Nouveau Monde économique. Reste à savoir comment nous allons nous adapter à ce Nouveau Monde, en tirer profit et partager, non seulement ses inconvénients, mais aussi ses bénéfices…

Brian Arthur est optimiste, commente Nicholas Carr, en pensant que nous allons être capables de résoudre ce problème. Distribuer la prospérité, comme nous le voyons actuellement, n’est pourtant pas une force traditionnelle de l’Amérique, rappelle Nicholas Carr. Si nous ne trouvons pas de solution au problème, Occupy Wall Street ne sera qu’un avant-goût de ce qui nous attend.

“Dans les grandes entreprises Américaines, les algorithmes sont en train de remplacer les doctorants, statisticiens et autres crânes d’oeufs”, acquiesce Alain Sherter pour BNet. Au sein de l’industrie high-tech elle-même, l’informatique en nuage menace de rendre obsolètes le centre de données et les gestionnaires réseaux qui gèrent les systèmes d’information des entreprises. Jusqu’à présent les nouvelles technologies ont ouvert des perspectives de croissances et de richesses… Mais les gains de productivité ne laissent pas augurer d’une réduction à court terme du chômage. Or, le rôle d’une économie n’est pas seulement de créer de la richesse, il est également de la distribuer pour permettre à l’économie de s’épanouir dans son ensemble. Or, comme l’exprime un commentateur de l’article de Brian Arthur : “Qui sera en mesure de payer les biens et services ainsi produits si personne n’a d’emplois pour cela ?”

Les Américains sont peut-être en train de se rendre compte que le modèle de la croissance par l’innovation n’est peut-être le modèle simple et parfait qu’ils espéraient. “Si l’innovation nous a sauvé dans le passé, cela ne signifie pas qu’elle va encore pouvoir le faire à l’avenir.”

L’une des questions que pose ce constat est de savoir si l’économie numérique porte en elle une destruction nette de valeur, comme l’exprimait l’une des Questions numériques de la Fing (voir les propositions de ruptures initiales imaginées par la Fing pour les prochaines années). Plutôt que de proposer une destruction créatrice de valeur, comme on la trouve dans le modèle Schumpeterien, la seconde économie telle qu’analysée par Brian Arthur détruit plus de valeur qu’elle n’en produit. Notre modèle économique basé sur l’innovation est-il en passe d’arriver à un seuil insoutenable comme nous le signale déjà l’impasse écologique ?

Hubert Guillaud  Les Echos
http://blogs.lesechos.fr/internetactu-net/la-deuxieme-economie-a7306.html

lundi 12 septembre 2011

jeudi 8 septembre 2011

La mondialisation est-elle un projet socialiste ?

Repris de Point de vue | LEMONDE.FR | le 07.09.11

par Aquilino Morelle, professeur associé à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, directeur de la campagne d'Arnaud Montebourg

La démondisalisation inquiète les partisans d'un libéralisme aux abois

La "démondialisation" est au cœur des primaires de la gauche et sera au centre de la prochaine élection présidentielle.. La convergence et la virulence des attaques dont ce projet politique fait l'objet, en particulier les points de vue critiques publiés récemment dans ces colonnes par Zaki Laïdi, Pascal Lamy et Pierre Lellouche, est un indice de l'inquiétude qu'il suscite chez les tenants du libéralisme.
Leur thèse est connue : la mondialisation serait un phénomène inéluctable, parce que provoqué par des mutations technologiques irréversibles – "le porte-conteneurs et Internet", pour reprendre les mots de Pascal Lamy. De surcroît, l'économie mondiale aurait atteint un tel degré d'intrication que les notions d'exportation et d'importations en seraient devenues caduques. Considérée comme l'horizon indépassable de l'Humanité, la mondialisation impliquerait "l'adaptation" des économies et des sociétés nationales. Seule la "régulation" permettrait de "maîtriser" ses "excès".

Quant aux millions de femmes et d'hommes que la mondialisation désespère – chômeurs au Nord, esclaves au Sud et à l'Est - ils n'auraient qu'à prendre leur mal en patience, ses bienfaits supposés devant nécessairement se faire sentir "à long terme". Sacralisée à l'instar d'une loi de la Nature, la mondialisation s'imposerait donc aux hommes. Proposer un autre modèle de développement déclenche aussitôt une classique entreprise de disqualification : la démondialisation serait une  absurdité" (Zaki Laïdi), une "illusion démagogique", "une fable" (Pierre Lellouche), un "concept réactionnaire" (Pascal Lamy).


Bref, un véritable péché de l'esprit car, pour ses zélateurs, la mondialisation est une visée à la fois téléologique et théologique. Alors rappelons à ces esprits religieux que la loi de la gravitation n'a pas empêché les hommes de construire des avions ni les avions de voler. Les seules lois qui s'imposent à l'homme sont celles de sa raison et de sa volonté. Ce qui a été fait par des hommes peut être corrigé -et pourquoi pas défait ?- par d'autres hommes.


Surtout, si elle tire effectivement une part de sa force de données techniques, la mondialisation est avant tout un projet idéologique pensé, voulu et mis en œuvre avec opiniâtreté par des intellectuels et des responsables politiques, de gauche qui plus est. Le rôle central d'une certaine élite de la gauche française, incarnée par Jacques Delors, Pascal Lamy et Michel Camdessus, dans la conception et la promotion de la mondialisation, a été décortiqué par Rawi Abdelal, professeur à la Harvard Business School, dans Capital Rules : The Construction of Global Finance, (Harvard University Press, 2007). Un livre qu'il serait de salubrité publique de traduire enfin en français et de faire lire au plus grand nombre.


Pénétrés de la supériorité du libre-échange, ces hommes se sont toujours considérés comme des progressistes en lutte conte les conservateurs du "vieux socialisme" dirigiste ; ils persistent dans cette vision des choses : c'est ce qui donne son sens au mot " réactionnaire " dans la bouche de Pascal Lamy. Pour eux, en 1983, le choc de la "contrainte extérieure" (c'est ainsi que l'on désignait alors la mondialisation) a été un événement providentiel, l'occasion de faire valoir leurs conceptions en jouant du traumatisme politique qu'a représenté sur le moment cette "fin des illusions".


Ils ont alors convaincu François Mitterrand de libéraliser la finance. L'année 1983 n'a pas été l'année de la capitulation de la gauche française devant la finance, mais celle de son ralliement à celle-ci ! Un ralliement dont les mots d'ordre auront été "maîtrise" et "régulation". A partir de 1985, ayant pris la tête de la Commission européenne (Delors et Lamy) et du FMI (Camdessus), ils ont diffusé cette politique de libéralisation financière à l'ensemble de la planète. Par leur habileté politique et leur persévérance, ces "socialistes" français ont réussi à établir ce qu'il est convenu d'appeler le "consensus de Paris".


C'est ce consensus et non celui de Washington, si souvent décrié, qui a donné l'impulsion à la libéralisation mondiale des mouvements de capitaux. Ces hommes de gauche français ont ainsi créé un nouveau Moloch libéral, qui a dévoré toute la gauche européenne et ouvert à Tony Blair le chemin de sa "Troisième voie". Voilà ce que nous confirme l'historien américain dans son travail édifiant  -quand la recherche universitaire conforte l'analyse politique.


La mondialisation a d'abord été financière : en 1983, Internet n'existait pas et les porte-conteneurs n'encombraient pas les océans. Elle le reste encore aujourd'hui que les flux financiers commandent l'économie. Voir les financiers et leurs complices invoquer le bonheur des peuples du Sud et de l'Est – c'est le rôle du mythe de "l'énorme classe moyenne chinoise" - pour justifier un système qui sert avant tout à les enrichir est un des spectacles les plus obscènes auxquels il nous a été donné d'assister. C'est " le triomphe de la cupidité " dénoncé par le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz. Un triomphe rendu possible non par la démission des hommes politiques de gauche, comme on le croit encore trop souvent, mais par leur consentement !


Financière, la mondialisation, au gré des accords successifs de libre-échange imposés aux peuples à leur insu par cette élite agissante de la gauche libérale, est devenue aussi la mise en concurrence des économies, des salaires, des fiscalités, des protections sociales, des peuples, des hommes, de leurs vies. Quel aveuglement idéologique que d'avoir accepté l'entrée de la Chine au sein de l'OMC en 2001 sans aucune contrepartie ! "Les idées, la connaissance, l'art, l'hospitalité, les voyages : ce sont là des choses qui, par nature, doivent être internationales. Mais produisons les marchandises chez nous chaque fois que c'est raisonnablement et pratiquement possible". Ce sont cette raison et ce sens des réalités humaines soulignés par Keynes que les partisans de la mondialisation ont voulu nous faire perdre. C'est le retour à cette sagesse qui est au cœur du projet de démondialisation.


Pour ses promoteurs, la mondialisation a toujours été un projet idéologique, le rêve d'un monde enfin débarrassé de la politique, où l'homo oeconomicus aurait définitivement supplanté l'homo sapiens, ce que Jürgen Habermas a résumé par la formule : "La mondialisation, c'est l'effondrement du pouvoir d'achat des bulletins de vote". Quant à la "mondialisation heureuse", rarement une mystification aussi cynique aura été tentée.


Ce projet a été démasqué et cette mystification dissipée. Les peuples ont compris la véritable nature de la mondialisation et ils retirent leur confiance aux gouvernements –droite et gauche confondues- qui leur ont imposé chômage et austérité en leur promettant des jours meilleurs.


Cette défiance s'exprime dans les taux record d'abstention, dans la poussée de l'extrême droite, dans la colère des paysans brésiliens sans terre ou celle des ouvriers de Continental Clairoix, licenciés pour motif économique et qui ont reçu en 2010 une proposition de reclassement à Bizerte, en Tunisie, pour un salaire mensuel de 260 dinars, soit 137 euros. Les peuples refusent dorénavant d'attendre le "long terme" pour profiter des prétendus bienfaits de la mondialisation, parce qu'ils savent avec Keynes qu'" à long terme, nous serons tous morts ".


Soit nous conduisons une stratégie de protectionnisme raisonné, européen, social et écologique, soit les peuples cèderont aux sirènes perverses des droites extrêmes. La démondialisation s'oppose ainsi autant au délire de l'ouverture infinie des marchés détruisant les protections sociales, les industries et les modes de vie, qu'au repli nationaliste et haineux de Marine Le Pen.

Démondialiser, ce n'est pas se retirer du monde, au contraire ; c'est vouloir l'habiter dans la solidarité et l'harmonie. La démondialisation est un projet de modération d'un système financier et économique mondial devenu extrémiste. La démondialisation, c'est la définanciarisation, la démarchandisation et la réorganisation du monde. C'est le projet de construire, avec les pays du Sud et de l'Est, un nouveau système de Bretton-Woods. C'est le keynésianisme du XXIe siècle. Voilà pourquoi la démondialisation est un projet né au Sud et que le mot même a été forgé par le sociologue philippin Walden Bello.


C'est de France que sont nés et partis le tsunami financier et la vague de mondialisation libérale ; et c'est donc de France que le coup d'arrêt devra leur être donné. Pour la gauche, le temps de la confrontation avec la finance, frappée d'hubris, est venu. L'heure de rendre la République plus forte que l'économie a sonné. La démondialisation est une remise à l'endroit de la gauche, cul par-dessus tête depuis la victoire des idées libérales en 1983.


Face à la crise de la mondialisation, le socialisme redistributif, arc-bouté sur l'Etat-providence, est une impasse ; le socialisme de l'accompagnement, infirmier de l'économie libérale, est une imposture ; le socialisme de la transformation, celui qui veut changer les règles de la finance et de l'économie, est désormais un impératif.



"Tout au long des années 2000, les profits de l'économie réelle ont été confisqués par le système financier qui s'est mis à travailler pour son propre compte et celui de ses dirigeants, dans des conditions extravagantes(...) Il va falloir revenir à un concept de mondialisation plus sain et plus réfléchi. La mondialisation des transports, des communications, de l'information est légitime. Mais le risque financier doit rester contrôlé. Il faut en avoir conscience : si l'on ne fait rien, il y aura d'autres crises, sans doute plus graves (…) Le retour au protectionnisme, ce ne sera pas pour cette fois, mais lors de la prochaine crise. D'un seul coup, la logique de la mondialisation apparaîtra alors comme inadaptée. " De qui sont ces propos sans appel ? D'Emmanuel Todd ? D'Arnaud Montebourg ? Non, de Valéry Giscard d'Estaing.


La gauche a le choix : continuer à ânonner le même bréviaire libéral et libre-échangiste –la mondialisation - et alors l'histoire la balaiera ; comprendre ce qui s'est joué à partir de 1983 et faire face à la réalité du monde : elle serait alors fidèle à sa vocation historique et l'avenir pourrait lui sourire à nouveau.

La démondialisation selon Montebourg

Arnaud Montebourg propose le concept de "démondialisation". Il le définit comme 'un processus politique visant à reterritorialiser l'économie en rapprochant les lieux de consommation et de production". Pour le candidat aux primaires socialistes, la mondialisation et son cortège de dégâts sur la société française n'est pas une fatalité : d'autres choix sont possibles

"La mondialisation nous est présentée comme un fait alors qu'il s'agit de choix que les gouvernements ont faits à l'insu des populations". 

La France a pris, dans la crise, conscience de ce qu'est la mondialisation, cette inacceptable mise en concurrence des systèmes productifs, des protections sociales, des niveaux de salaires, et l'obligation de renoncement aux choix politiques libres des peuples. Elle nous est présentée comme un fait alors qu'il s'agit de choix que les gouvernements ont faits à l'insu des populations.  

Plutôt qu'évoquer la peur - assez partagée dans les pays européens - face au processus de globalisation, on devrait plutôt mesurer les dégâts concrets que les Français ont pu subir de ces choix contraires à nos intérêts : désindustrialisation, délocalisations, pression à la baisse sur les salaires, distribution délirante de dividendes pendant que ceux qui n'ont que que leur travail pour vivre, se serrent la ceinture de plus en plus durement. A bien des égards, l'explosion des inégalités dans notre pays, lequel exprime une persistante et historique préférence pour l'égalité, résume l'expérience concrète et difficile pour notre Nation de la mondialisation.

Mettre de la politique dans l'économie

Ainsi, le remplacement du capitalisme industriel par un capitalisme patrimonial de prédation a durablement modifié les équilibres internes de la société française. Ses profits récents - 35 milliards de dividendes distribués pour les entreprises du CAC 40 en 2010 – démontrent que l’actionnariat va beaucoup mieux que le salariat.

En France en effet,  le phénomène de « déclassement » a durement frappé les familles. Bien souvent les parents ont vu leurs revenus stagner ou baisser. Ceux qui ont consenti d'énormes sacrifices pour les études de leurs enfants les voient peiner à trouver un emploi stable. Entre 2003 et 2005, c'est à dire avant la crise, une moitié de Français ont vu leur niveau de vie baisser. 76% des Français sont désormais convaincus que leurs enfants vivront moins bien qu'eux. Les inégalités ont explosé et la désindustrialisation a miné à la fois notre appareil productif et le moral du pays. Il est urgent de mettre de la politique dans l'économie, avant que celle-ci n'achève de nous dissoudre ou de nous détruire comme peuple ayant choisi de vivre selon ses lois propres et non selon celles imposées par d'autres.

Le développement d'un libre-échange sans aucune limite a précipité les Français – et l'Europe en général – dans une concurrence sans fin. 60% des exportations chinoises sont le fait des seules entreprises européennes ou nord-américaines qui assemblent dans « l'Empire du Milieu » des biens qu'elles réexportent ensuite vers nos pays. Le déficit commercial vis-à-vis de la Chine a explosé depuis l'entrée de la Chine dans l'OMC en 2001. La question du protectionnisme européen comme outil de reconstruction de notre économie, doit être assumée et posée nettement.

A ces réalités financières et commerciales qui nous affaiblissent, correspond une autre réalité. Des pays comme l'Inde ou la Chine ont des stratégies de développement de leur recherche, de leur enseignement supérieur. Louis Gallois a par exemple expliqué que l'industrie aéronautique était obligée d'aller chercher en Inde les 3000 ingénieurs dont elle manque annuellement en Europe. Dans le même temps, nous avons envoyé un très grand nombre de nos ingénieurs, en théorie chargés de l'innovation industrielle, dans les salles de marché où ils ont développé les modèles mathématiques qui ont provoqué les krachs boursiers que nous avons connus.

L'Occident, l'Europe, la France acceptent mal de perdre leur hégémonie passée dans les domaines du savoir. Cela implique de développer un nouveau projet collectif à notre pays, notamment dans le domaine de la recherche, de l'industrie et de l'innovation. J’appelle à l’alliance des producteurs, qu’ils soient entrepreneurs, salariés, chercheurs, contre les rentiers et actionnaires dont les profits sont aussi indécents qu’inutiles.

Réorienter l'Union européenne

L'Europe, en théorie chargée de défendre les Européens dans la mondialisation, est apparue, hélas, comme une machine plus obsédée par l'augmentation aveugle de sa propre mise en concurrence, pour ne pas dire son autodestruction, plutôt que sa construction extérieure. Hubert Védrine a raison de souligner que « l'Europe ne doit plus se mettre les peuples européens à dos, mais rassembler leur énergie politique et économique et leurs espérances ».

Il faut donc réorienter l'Union européenne, notamment en politisant – enfin ! - le droit européen de la concurrence et en discutant avec l'Allemagne d'une stratégie industrielle commune, coeur d'une stratégie commune de l'Europe dans la mondialisation.

Enfin, admettons que les « réformes structurelles » promues par les néolibéraux n'ont pas rendu nos pays compétitifs. Ces « ajustements » ont, en outre, créé une défiance endémique dans le tissu social, dont nous mesurons les conséquences par les taux d'abstention et le vote extrémiste. Ce double sentiment d'incapacité du politique à affronter les problèmes et le dédain pour la parole du citoyen a créé une ambiance délétère dans notre pays. Je ne me résigne pas à cet affaiblissement.

Les grands principes de la "démondialisation"

Je propose un autre chemin au pays pour relever la France et renouer avec sa tradition productive :  la démondialisation. C'est un processus politique visant à reterritorialiser l'économie en rapprochant les lieux de consommation et de production.

L'impératif de lutte contre le changement climatique y trouvera son compte, en surtaxant les transports mondiaux de marchandises, pour rendre plus compétitifs les produits fabriqués en Europe plutôt qu'à 20 000 kilomètres. C'est un processus économique visant à tirer à nouveau les salaires à la hausse, au nord comme au sud, à l'est comme à l'ouest pour favoriser le dynamisme des marchés intérieurs, plutôt que les économies de dumping qui surproduisent sans distribuer les salaires correspondants, tout en détruisant sans retenue les ressources naturelles.

Utiliser les critères de l'Organisation internationale du Travail pour infliger des taxes extérieures sur les produits industriels contenant du dumping social, et des taxes carbones extérieures sur les produits contenant du dumping environnemental nous permettra de renouer avec la puissance du politique pour discipliner à nouveau l'économie.

Je propose de créer une agence française sanitaire, sociale et environnementale chargée de calculer le coût écologique et social des produits fabriqués hors d'Europe, qui servira de base à l'engagement de la responsabilité sociale et écologique des entreprises. Ce sont là quelques-unes de mes propositions pour rendre confiance aux Français dans leur représentation politique.

La « démondialisation », c'est l'assurance d'un développement harmonieux et juste des sociétés humaines, qu'elles se situent au Nord ou au Sud, en Occident ou en Orient, c’est aussi, pour paraphraser Habermas, la meilleure façon de redonner « du pouvoir d’achat au bulletin de vote ».

Crédit Reuters / NDLR : les intertitres et le gras ont été rajoutés par Atlantico.

La mondialisation comme automate asocial ?

Les anthropologues Gérard Althabe et Monique Selim présente la mondialisation comme la mise en place d'une machine économique automatisée incapable de donner une place sociale à l'homme.

"Colonisation et communisme recèlent la transformation de l’homme dans sa totalité, dans son essence même, alors que la mondialisation place l’homme dans une position périphérique par rapport à une énorme machine économique, qui n’est pas supposée produire une nouvelle société et qui est automatisée".

L'automate économique est-il asocial ?

Il y a peu encore, le marxisme expliquait que le capitalisme et l'impérialisme distribuaient les acteurs sociaux du coté des exploitants ou du coté des exploités.

D'autres oppositions ont été avancées : ainsi celle entre les "rentiers" qui préservent leur capital et les "entrepreneurs" qui prennent des risques. Donc, la mondialisation serait la façon de multiplier des "entrepreneurs" partout, dans tous les pays du monde, ce qui augmenterait les accès de tous aux bienfaits du développement économique : nourriture, logement, santé, éducation et .. culture.

Ou bien la notion de "l'a-socialité" de la mondialisation serait une façon de critiquer la dissolution des cultures sociales au profit d'une culture basée sur les désirs primaires : boire, manger, paraitre, baiser. Une culture basée sur le coca-cola, le hamburger, le vêtement ou la techno de marque, la séduction prédatrice.

Ou bien il s'agirait de pointer la façon dont un projet idéologique - l'économie comme auto régulation optimale de la société - masque une mise en exploitation de ressources peu coûteuses. Par exemple, la mise au travail des enfants dans les pays asiatiques est justifiée par le fait que les enfants apportent une aide économique à leur famille.

Les buts de ce blog sont de trois sortes :
1/ identifier les différentes définitions en débat du "social", de la "société", de la "culture", de "l'utilité", de la "régulation", de "l'automate auto régulé"
2/ pointer les conséquences, directes ou indirectes, des confusions sémantiques : ainsi la confusion entre "le Bien" et les "biens économiques
3/ réfléchir à la problématique de la mondialisation - ou "globalization" - comme projet de société alternatif au colonialisme et au communisme.

Pour initier ce blog, nous reproduisons les Échanges entre Gérard Althabe et Monique Selim Automne 2000 – Paris reproduits dans un article intitulé « Mondialisation, communisme et colonisation » Journal des anthropologues.

Gérard Althabe – La question de la colonisation et de la décolonisation par certains côtés se rapproche du communisme et de son effondrement. La colonisation est un mode de domination dans lequel est conservée l’altérité des dominés et où les processus de domination passent par la construction de la présence de la domination dans leur univers.

En fait, l’utopie coloniale qui consiste à recréer une société nouvelle à partir de la destruction de l’ancienne, est contradictoire en regard de la nature même de la domination qu’elle implique, et ce jusqu’en 1960.

Dans le cas du communisme, la création d’un monde nouveau s’inscrit dans une incapacité totale à produire la société « totalitaire ». Les contradictions internes, les résistances à travers les champs familiaux, privés, ethniques sont innombrables.

La comparaison entre la colonisation et le communisme montre que toute domination est prise dans la tension utopique de produire la société dans laquelle elle va se développer, l’échec inévitable de ce processus permet à l’histoire d’avancer.

En revanche, la mondialisation est un mode de domination qui a pour particularité de ne pas être centralisée alors que d’un côté la domination coloniale mettait en jeu la métropole face à des territoires et de l’autre le système communiste localisait le pouvoir dans le parti, le comité central, le président à un moment donné.

Actuellement le processus de mondialisation implique une pluralité de multinationales, dont le centre fictif est reconstruit médiatiquement autour du gouvernement américain. De fait la mondialisation est un système pluricentré, produit par l’économique qui se donne à voir comme autorégulé : sur cette scène partagée certains en profitent et d’autres en sont les victimes, sans possibilité de désigner un adversaire.

Revenons sur les deux expériences précédentes – coloniale et communiste – et tentons de les articuler. Globalement, les coloni­sateurs comme les dirigeants communistes ont des projets de construction de sociétés qui sont réinvestis dans l’autonomie rela­tive du local, à tous les échelons du village, de l’entreprise, en passant par le quartier, la ville, la nation.

Ces schèmes de reproduc­tion se retrouvent dans la situation actuelle et, contrairement à la fiction d’une homogénéisation générale autour du marché, se retrouve dialectiquement une différenciation généralisée par émiet­tements ethnoculturels. Les altérités ainsi érigées sont des inventions de la situation produite par la globalisation ; cette logique se situe hors du modèle dans lequel une société se retrouve face à un système qui la décompose de l’extérieur.

Monique Selim – En regard du communisme et de la colonisation, la grande différence de la mondialisation est qu’elle n’a pas un projet idéologique de reconstruction du social : c’est une diffusion idéologique molle, flexible, réduisant la société à l’économique.

G.A. – Dans la colonisation, le politique domine par la tentative d’une transformation de l’autre à l’image de soi : c’est la condition nécessaire à la mise en œuvre de l’exploitation économique. Dans le communisme le rapport au pouvoir public devient la matrice même de la production de la société, et l’économique est réinvesti dans ce processus.

M.S. – Colonisation et communisme recèlent la transformation de l’homme dans sa totalité, dans son essence même, alors que la mondialisation place l’homme dans une position périphérique par rapport à une énorme machine économique, qui n’est pas supposée produire une nouvelle société et qui est automatisée.

G.A. – Ce fonctionnement sans acteur dissout tout social autonome et il ne resterait plus qu’une myriade d’individus séparés les uns des autres, ne communiquant entre eux que par l’économique : telle est l’image idéologique qui tend à s’imposer.

M.S. – Revenons sur la manière dont les anthropologues peuvent appréhender la mondialisation.

G.A. – Il faut la réduire à sa dimension économiciste dans la mesure où elle se spectacularise sur ce mode et la replacer dans une problématique de l’articulation.

Les anthropologues cherchent souvent une résistance à l’homogénéisation par la production de différences, la production d’une altérité, telle l’ethnie, etc. Mais ce faisant, ils sortent du noyau de l’idéologie de la mondialisation et inventent d’autres formes idéologiques qui sont leur propre regard sur la mondialisa­tion. Il s’agit d’une impasse. Il faut considérer les situations dans leur présent, là où elles sont en prise avec la circulation des capi­taux. Toute vision globalisée des faits s’inscrit dans une idéation piégée de la domination édifiée en domination impériale.

M.S. – Le marché est une matrice vide, hors du marché objectif des capitaux : il n’existe que par la manière dont les acteurs, créateurs de rapports sociaux et de rapports marchands, vont le faire mar­cher ; il n’y a aucun signifié dans le marché.

G.A. – Le marché mondial est une simple apparence fétichisée dont les théologiens sont des économistes qui tentent de le présenter comme étant une deuxième nature, avec laquelle on ne négocierait pas. Il faut replacer l’analyse dans une histoire où la colonisation était un mode de mondialisation doublement imparfait puisqu’il y avait la préférence coloniale qui séparait toujours indigènes et colo­nisateurs et puisque la concurrence économique était bloquée. D’autre part, les pays communistes formaient un système de globa­lisation partiel et précaire.

M.S. – Il faut noter que toutes les oppositions à la mondialisation aujourd’hui recherchent leur métaphore de résistance dans le passé : elle est dénoncée d’un côté comme néocolonisation, mais de l’autre comme nouveau totalitarisme ou impérialisme. Ce ressourcement dans d’anciens modes de conceptualisation de la résistance est une incapacité à penser la nouveauté de la situation et à imaginer d’autres logiques d’affrontement. Prenons l’exemple de la parenté.

G.A. – On observe dans le cadre colonial l’obsession de liquider les rapports de parenté à travers l’échange marchand, et dans le système communiste européen de casser les rapports de parenté pour ériger l’hégémonie de l’État. Qu’en est‑il aujourd’hui dans l’univers du marché ?

M.S. – Le caractère pauvre des idéologisations du marché minorise les appartenances comme la parenté. Néanmoins, dans la conjoncture du socialisme de marché asiatique – tel le cas du Vietnam – les rapports de parenté qui n’ont jamais été l’objet d’une volonté d’élimination, sont au cœur du développement des rapports marchands qu’ils vont légitimer aux côtés d’autres supports.

Plus globalement, si la parenté est bien un cadre idéologique universalisant des processus de hiérarchisation et de domination politique, l’articulation parenté/marché concerne l’anthropologie.

G.A. – Déjà les modes de domination colonial et communiste mon­traient l’échec épistémologique de lectures à partir du modèle de l’imposition, la domination étant toujours l’objet de réinvestisse­ments et de réappropriations, à la source à la fois de sa reproduction et de sa destruction. La mondialisation du marché rend manifestement cette dimension.

Gérard Althabe et Monique Selim, « Mondialisation, communisme et colonisation », Journal des anthropologues [En ligne], 98-99 | 2004, mis en ligne le 22 février 2009, consulté le 08 septembre 2011. URL : http://jda.revues.org/1632