jeudi 8 septembre 2011

La mondialisation comme automate asocial ?

Les anthropologues Gérard Althabe et Monique Selim présente la mondialisation comme la mise en place d'une machine économique automatisée incapable de donner une place sociale à l'homme.

"Colonisation et communisme recèlent la transformation de l’homme dans sa totalité, dans son essence même, alors que la mondialisation place l’homme dans une position périphérique par rapport à une énorme machine économique, qui n’est pas supposée produire une nouvelle société et qui est automatisée".

L'automate économique est-il asocial ?

Il y a peu encore, le marxisme expliquait que le capitalisme et l'impérialisme distribuaient les acteurs sociaux du coté des exploitants ou du coté des exploités.

D'autres oppositions ont été avancées : ainsi celle entre les "rentiers" qui préservent leur capital et les "entrepreneurs" qui prennent des risques. Donc, la mondialisation serait la façon de multiplier des "entrepreneurs" partout, dans tous les pays du monde, ce qui augmenterait les accès de tous aux bienfaits du développement économique : nourriture, logement, santé, éducation et .. culture.

Ou bien la notion de "l'a-socialité" de la mondialisation serait une façon de critiquer la dissolution des cultures sociales au profit d'une culture basée sur les désirs primaires : boire, manger, paraitre, baiser. Une culture basée sur le coca-cola, le hamburger, le vêtement ou la techno de marque, la séduction prédatrice.

Ou bien il s'agirait de pointer la façon dont un projet idéologique - l'économie comme auto régulation optimale de la société - masque une mise en exploitation de ressources peu coûteuses. Par exemple, la mise au travail des enfants dans les pays asiatiques est justifiée par le fait que les enfants apportent une aide économique à leur famille.

Les buts de ce blog sont de trois sortes :
1/ identifier les différentes définitions en débat du "social", de la "société", de la "culture", de "l'utilité", de la "régulation", de "l'automate auto régulé"
2/ pointer les conséquences, directes ou indirectes, des confusions sémantiques : ainsi la confusion entre "le Bien" et les "biens économiques
3/ réfléchir à la problématique de la mondialisation - ou "globalization" - comme projet de société alternatif au colonialisme et au communisme.

Pour initier ce blog, nous reproduisons les Échanges entre Gérard Althabe et Monique Selim Automne 2000 – Paris reproduits dans un article intitulé « Mondialisation, communisme et colonisation » Journal des anthropologues.

Gérard Althabe – La question de la colonisation et de la décolonisation par certains côtés se rapproche du communisme et de son effondrement. La colonisation est un mode de domination dans lequel est conservée l’altérité des dominés et où les processus de domination passent par la construction de la présence de la domination dans leur univers.

En fait, l’utopie coloniale qui consiste à recréer une société nouvelle à partir de la destruction de l’ancienne, est contradictoire en regard de la nature même de la domination qu’elle implique, et ce jusqu’en 1960.

Dans le cas du communisme, la création d’un monde nouveau s’inscrit dans une incapacité totale à produire la société « totalitaire ». Les contradictions internes, les résistances à travers les champs familiaux, privés, ethniques sont innombrables.

La comparaison entre la colonisation et le communisme montre que toute domination est prise dans la tension utopique de produire la société dans laquelle elle va se développer, l’échec inévitable de ce processus permet à l’histoire d’avancer.

En revanche, la mondialisation est un mode de domination qui a pour particularité de ne pas être centralisée alors que d’un côté la domination coloniale mettait en jeu la métropole face à des territoires et de l’autre le système communiste localisait le pouvoir dans le parti, le comité central, le président à un moment donné.

Actuellement le processus de mondialisation implique une pluralité de multinationales, dont le centre fictif est reconstruit médiatiquement autour du gouvernement américain. De fait la mondialisation est un système pluricentré, produit par l’économique qui se donne à voir comme autorégulé : sur cette scène partagée certains en profitent et d’autres en sont les victimes, sans possibilité de désigner un adversaire.

Revenons sur les deux expériences précédentes – coloniale et communiste – et tentons de les articuler. Globalement, les coloni­sateurs comme les dirigeants communistes ont des projets de construction de sociétés qui sont réinvestis dans l’autonomie rela­tive du local, à tous les échelons du village, de l’entreprise, en passant par le quartier, la ville, la nation.

Ces schèmes de reproduc­tion se retrouvent dans la situation actuelle et, contrairement à la fiction d’une homogénéisation générale autour du marché, se retrouve dialectiquement une différenciation généralisée par émiet­tements ethnoculturels. Les altérités ainsi érigées sont des inventions de la situation produite par la globalisation ; cette logique se situe hors du modèle dans lequel une société se retrouve face à un système qui la décompose de l’extérieur.

Monique Selim – En regard du communisme et de la colonisation, la grande différence de la mondialisation est qu’elle n’a pas un projet idéologique de reconstruction du social : c’est une diffusion idéologique molle, flexible, réduisant la société à l’économique.

G.A. – Dans la colonisation, le politique domine par la tentative d’une transformation de l’autre à l’image de soi : c’est la condition nécessaire à la mise en œuvre de l’exploitation économique. Dans le communisme le rapport au pouvoir public devient la matrice même de la production de la société, et l’économique est réinvesti dans ce processus.

M.S. – Colonisation et communisme recèlent la transformation de l’homme dans sa totalité, dans son essence même, alors que la mondialisation place l’homme dans une position périphérique par rapport à une énorme machine économique, qui n’est pas supposée produire une nouvelle société et qui est automatisée.

G.A. – Ce fonctionnement sans acteur dissout tout social autonome et il ne resterait plus qu’une myriade d’individus séparés les uns des autres, ne communiquant entre eux que par l’économique : telle est l’image idéologique qui tend à s’imposer.

M.S. – Revenons sur la manière dont les anthropologues peuvent appréhender la mondialisation.

G.A. – Il faut la réduire à sa dimension économiciste dans la mesure où elle se spectacularise sur ce mode et la replacer dans une problématique de l’articulation.

Les anthropologues cherchent souvent une résistance à l’homogénéisation par la production de différences, la production d’une altérité, telle l’ethnie, etc. Mais ce faisant, ils sortent du noyau de l’idéologie de la mondialisation et inventent d’autres formes idéologiques qui sont leur propre regard sur la mondialisa­tion. Il s’agit d’une impasse. Il faut considérer les situations dans leur présent, là où elles sont en prise avec la circulation des capi­taux. Toute vision globalisée des faits s’inscrit dans une idéation piégée de la domination édifiée en domination impériale.

M.S. – Le marché est une matrice vide, hors du marché objectif des capitaux : il n’existe que par la manière dont les acteurs, créateurs de rapports sociaux et de rapports marchands, vont le faire mar­cher ; il n’y a aucun signifié dans le marché.

G.A. – Le marché mondial est une simple apparence fétichisée dont les théologiens sont des économistes qui tentent de le présenter comme étant une deuxième nature, avec laquelle on ne négocierait pas. Il faut replacer l’analyse dans une histoire où la colonisation était un mode de mondialisation doublement imparfait puisqu’il y avait la préférence coloniale qui séparait toujours indigènes et colo­nisateurs et puisque la concurrence économique était bloquée. D’autre part, les pays communistes formaient un système de globa­lisation partiel et précaire.

M.S. – Il faut noter que toutes les oppositions à la mondialisation aujourd’hui recherchent leur métaphore de résistance dans le passé : elle est dénoncée d’un côté comme néocolonisation, mais de l’autre comme nouveau totalitarisme ou impérialisme. Ce ressourcement dans d’anciens modes de conceptualisation de la résistance est une incapacité à penser la nouveauté de la situation et à imaginer d’autres logiques d’affrontement. Prenons l’exemple de la parenté.

G.A. – On observe dans le cadre colonial l’obsession de liquider les rapports de parenté à travers l’échange marchand, et dans le système communiste européen de casser les rapports de parenté pour ériger l’hégémonie de l’État. Qu’en est‑il aujourd’hui dans l’univers du marché ?

M.S. – Le caractère pauvre des idéologisations du marché minorise les appartenances comme la parenté. Néanmoins, dans la conjoncture du socialisme de marché asiatique – tel le cas du Vietnam – les rapports de parenté qui n’ont jamais été l’objet d’une volonté d’élimination, sont au cœur du développement des rapports marchands qu’ils vont légitimer aux côtés d’autres supports.

Plus globalement, si la parenté est bien un cadre idéologique universalisant des processus de hiérarchisation et de domination politique, l’articulation parenté/marché concerne l’anthropologie.

G.A. – Déjà les modes de domination colonial et communiste mon­traient l’échec épistémologique de lectures à partir du modèle de l’imposition, la domination étant toujours l’objet de réinvestisse­ments et de réappropriations, à la source à la fois de sa reproduction et de sa destruction. La mondialisation du marché rend manifestement cette dimension.

Gérard Althabe et Monique Selim, « Mondialisation, communisme et colonisation », Journal des anthropologues [En ligne], 98-99 | 2004, mis en ligne le 22 février 2009, consulté le 08 septembre 2011. URL : http://jda.revues.org/1632

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